C a t h e r i n e   V e r l a g u e t , auteure



Un concours de circonstances

Deux personnages : un homme et une femme.

D’habitude, on est ensemble parce qu’on est amoureux.
Eux vont tomber amoureux parce qu’ils sont ensembles.
C’est l’histoire de Salomon, 35 ans, dont la vie d’effondre le jour où il apprend qu’il est stérile.
C’est l’histoire de Julie, 28 ans, qui, plaquée avec ses deux enfants et un troisième en route, nage en roue libre et est au bord de la crise de nerf.
C’est l’histoire d’une annonce passée en désespoir de cause, à se dire qu’aujourd’hui, tellement de femmes seules galèrent à élever leurs enfants, qu’elles seraient peut-être heureuses de rencontrer un homme stérile qui ne demanderait pas mieux que de les adopter, elle et leur progéniture.

C’est l’histoire de Salomon et Julie qui se rencontrent au bon moment et décident, de façon très raisonnable, de se mettre en famille.

Mise en scène : Ned Grugic

(Cette pièce n'est actuellement pas en tournée voir dans les archives)

Fabrique d'écriture

J’avais envie d’écrire une comédie romantique pour le théâtre. Il y en a beaucoup au cinéma, mais très peu au théâtre. Or moi, c’est du théâtre que j’écris.
Quand on dit romantique, on a tout de suite peur de tomber dans le mièvre, le gnan-gnan… C’est pourquoi, au fil de l’écriture, il ne faut jamais perdre la comédie de vue. En tant qu’auteur, j’avais envie de me confronter à ce genre, comme un challenge.
Autre challenge : j’avais décidé de n’avoir que deux personnages, ce qui ne facilite pas la dramaturgie mais terriblement la production.
Je me suis régalée. Cette pièce s’est écrite, réécrite, retravaillée jusqu’au bout des répétitions, toujours avec le même plaisir de retrouver ces deux personnages, Salomon et Julie, que je connais aujourd’hui comme s’ils étaient mes amis. Des amis dont j’ai été l’entremetteuse.

Extrait

(…)
Salomon - Alors vous… vous travaillez dans la mode ?
Julie - … Non ! Pourquoi ?
Salomon - Ben… Je sais pas. Comme ça. Je pensais… vous avez l’air de vous y connaître en… mode, non ?
Julie - Parce que je suis une fille ! ‘fin : une femme, à force, j’imagine.
Salomon - Et vous faites quoi dans la vie ?
Julie(l’air de dire que ce n’est pas important et qu’elle n’a pas envie d’en parler) -
Je travaille au CNRS. Je fais de la recherche. Sur… des cellules. Cancéreuses. Et vous ?
Salomon - Moi ? Je…Oh ! Je suis aide-soignant à domicile, spécialisé en gériatrie.
Julie - Et ça vous plaît ?
Salomon - Oui ! J’aime bien mes p’tits vieux alors… Et vous ?
Julie - Oui ! Oh ! J’aime bien mes cellules alors…

Elle rit. Il rit.

Julie - Non mais… Vous savez ce que c’est, hein : vous êtes doué alors on vous fait faire des études, des études et des études, on n’a pas vraiment son mot à dire parce que ce serait « tellement dommage » et… on se retrouve en bio chimie à observer des cellules cancéreuses dans un microscope !
Salomon - Vous auriez voulu faire autre chose !?
Julie - … Non. J’aurais voulu faire ça. Chercheuse. C’est exactement ce que j’aurais voulu faire. Et vous ?
Salomon - Les p’tits vieux, ça me va.
Julie - Alors, c’est bien. C’est important de faire un truc qu’on aime.
Salomon - C’est bien, oui.
Julie - La vie est trop courte !
Salomon - Vous voulez pas vous asseoir ?
Julie - Ah ! Si ! Bien-sûr ! Pardon ! J’avais pas remarqué que… que j’étais encore debout !
Salomon - C’est que… comme on va manger, autant s’asseoir, non ?
Julie - Oui ! Oui ! Pardon.
Salomon - C’est rien !
Julie - C’est parce que je suis nerveuse. Quand je suis nerveuse, je reste souvent plantée, là, comme un géranium !!!
Salomon -Vous n’avez rien d’un géranium.
Julie - Autre chose que je fais quand je suis nerveuse, il faut que vous le sachiez : je mens. Parce que, je dis tout ce qui me passe par la tête et que, dès fois, ce qui me passe par le tête, c’est n’importe quoi.
Salomon - Vous m’avez déjà mentit ?
Julie - Oui. Je ne suis pas chercheuse au CNRS, mais caissière dans un supermarché. Mais chercheuse, c’est ce que je voulais faire et d’ailleurs, j’avais commencé à étudier mais je suis tombée enceinte de mes jumeaux alors, c’est qu’un mensonge de concours de circonstance parce que, franchement, dans d’autres circonstances, ça n’aurait pas été un mensonge.
Mais alors, j’aurais pas les enfants. Et si j’avais pas d’enfants, je serais pas là, en face de vous, pas vrai ? Alors, en quelque sorte, c’est une bonne chose, non ? Que je sois pas… chercheuse… mais… caissière… Non ?
Salomon (Après un temps) - Alors… Vous avez des jumeaux ?
Julie - Deux, oui.
Salomon - C’est le propre des jumeaux.
Julie - Pardon ?
Salomon - D’être deux.
Julie - Oui ! Pour l’instant. Un garçon et une fille, Nina et Antonin, ils ont huit ans.
Salomon - Pour l’instant ?
Julie - ???
Salomon - Vous avez dit « pour l’instant »
Julie – (Des larmes lui montent aux yeux) - … Oui, c’est parce que… j’ai pas encore décidé.
Salomon - ??? Vous savez que de mon côté, euh…
Julie - Oui, je sais, oui, l’annonce.
Salomon - …
Julie - Oh ! Et puis… Je suis nulle.
Salomon - Mais non vous n’êtes pas nulle, vous êtes très jolie.
Julie - Oui, ben… On peut être nulle et jolie !
Salomon - Vous êtes brillante !
Julie - Je suis une menteuse.
Salomon - Vous m’avez tout de suite dit la vérité !
Julie - Parce que je ne sais pas mentir.
Salomon - Pourquoi est-ce que vous vous énervez ?
Julie - Parce que… quand je suis tombée enceinte, mes parents m’ont coupé les vivres, mon mec ne gagnait pas un rond et on a eu des jumeaux. C’est pour ça que j’ai arrêté mes études : il fallait que je travaille.
Avec le père des enfants, on ne s’est pas aimé très longtemps mais… il y avait les enfants alors...
Il y a huit mois, il est partit acheter des cigarettes et… il n’est jamais rentré.
Voilà.
La police l’a retrouvé mais il n’a pas voulu qu’on me communique sa nouvelle adresse alors… Ce qui est une bonne chose parce que je suppose qu’il est partit pour quelqu’un d’autre, en fait et que, si j’avais sa nouvelle adresse, j’irais certainement poser une bombe chez lui ou… une bombe, oui, c’est bien.

Un temps.

Julie - C’est une façon de parler, la bombe…
Salomon - Bien-sûr.
Julie - Remarquez, j’ai rien contre le fait qu’il ait rencontré quelqu’un d’autre parce que, personnellement, si j’avais rencontré quelqu’un d’autre… Mais, c’est la façon de faire quoi. Et puis, du coup, de disparaître complètement, de plus du tout être là pour ses gosses ! Vous trouvez pas ?
Salomon - Si !
Julie - Que c’est la chose la plus lâche, la plus dégueulasse à faire ? Sortir acheter des clopes et….
Salomon - Ça dépend.
Julie - Ça dépend de quoi ça dépend ?
Salomon - S’il a décidé de ne pas rentrer une fois qu’il était dehors, il est lâche, certes, mais son choix apparaît comme une prise de conscience soudaine, irrévocable, vitale peut-être. C’est dégueulasse et difficile mais bon, ça peut arriver.
Par contre, s’il a décidé de partir avant de sortir, s’il a menti en disant qu’il allait acheter des cigarettes, alors là… c’est vraiment un… lâche, un menteur et un connard.
Julie - Je crois que… c’est vraiment un lâche, un menteur et un connard.
Salomon - Autant pour moi.

Un temps.

Julie - Et…
Salomon - Et quoi ?
Julie - Une fois, une toute petite fois, après ça, je suis sortie, j’ai bu, je me suis amusée quoi, parce que faut s’amuser aussi, dès fois, surtout quand on s’est fait plaquer, comme ça, sans un mot d’explication, avec des jumeaux sur les bras, hein, j’ai bien le droit de m’amuser un peu aussi, non ?
Salomon - Si !
Julie - Y’a des filles qui s’amusent tous les week-end et il ne leur arrive jamais rien !
Salomon - Qu’est ce qui vous est arrivé ?
Julie - Vous êtes gentil.
Salomon - Les filles n’aiment pas les garçons gentils.
Julie - Elles ont tort. Ça doit être reposant.
Salomon - Gentil rime avec ennui.
Julie - Je voulais vous séduire. Coucher avec vous et vous faire croire qu’il était de vous.
Salomon - … Vous êtres enceinte ?
Julie - De six semaines.
Salomon - … Mais c’est formidable !
Julie - Formidable ? C’est vous qui le dites ! Je suis toute seule, moi ! J’ai déjà deux monstres qui auraient bien besoin d’un père alors, un troisième !
Salomon - Et… le père, du troisième ?
Julie - Il sait pas.
Salomon - Vous allez le lui dire ?
Julie - Ecoutez : j’ai eu un seul homme dans ma vie, David, le père de mes jumeaux. Quand il est partit, boulot, gosses, dodos alors… il y a six semaines, une copine m’a sortie pour me changer les idées et… une toute petite fois quoi ! J’ai pas l’habitude ! Voilà. Je me rappelle vaguement ce qui c’est passé, où ça s’est passé mais… me souvenir d’un nom c’est… c’est…
Salomon - Et le préservatif ?
Julie - Les larmes lui remontent
Ah ! Si c’est pour me faire la morale, hein, merci, j’ai déjà mon médecin.
Salomon - Non ! Non, non ! Pardon ! Je ne voulais pas vous…
Julie - Il y a des femmes qui couchent avec n’importe qui, n’importe quand et… rien ! Jamais ! Moi, j’ai couché avec deux hommes dans ma vie et j’ai trois, trois gamins ! Vous trouvez que c’est juste, vous, un truc comme ça ? Je suis sûre que même vous, si je couchais avec vous, je…

Salomon baisse les yeux.

Julie - Pardon.
Salomon - Non, c’est rien. C’est juste que… j’aimerais tellement !
Julie - Coucher avec moi ?
Salomon - Que vous tombiez enceinte de moi ! Ce serait… Un miracle.
Julie - Oui, mais là, euh… la place est prise alors… Il faudra revenir plus tard.
Et… Vous avez pensé à… adopter ? J’veux dire… Les gens qui veulent des enfants et qui ne peuvent pas en avoir, en général, ils cherchent à adopter au lieux de… de passer une annonce, dans le journal…
Salomon - Ben, je me suis dis que quitte à adopter, autant prendre la mère avec ! Que ce serait plus sympa pour les soirées romantiques sous la couette une fois les enfants couchés.
Julie - …
Salomon - Je plaisante.
(…)