C a t h e r i n e V e r l a g u e t , auteure |
La version du LoupNouvelle Tout mâle adulte a besoin de sa portion de protéines hebdomadaires. Et notre ami Rodolphe n’échappe pas à ce besoin, quoiqu’il soit, disons le en sa faveur, très raisonnable en la matière. Alors que certains de ses amis mangent de la viande tous les jours, menu fretin attrapé facilement, lui préfère la qualité à la quantité. Ainsi, il préfère ne manger de la viande qu’une fois par semaine, mais que la chair soit bonne. Et d’ailleurs, cette chair, avant de la déguster, il aime la choisir, l’apprivoiser, la cajoler…La chair d’une proie attrapée contre son gré est tendue, stressée, nerveuse. Alors que la chair de celle qui s’est laissée prendre est tendre et goûteuse. Ah ! Les plaisirs de la chasse. Pour Rodolphe, c’est le samedi qui est jour de chasse. Parce que le samedi, dans le bois, c’est la journée des promenades. Le dimanche aussi vous me direz, mais le dimanche, pour lui, c’est repos et digestion. Aujourd’hui, Rodolphe compte conclure sur une histoire qui le travaille depuis plusieurs semaines. Un petit chaperon, rouge, de toute beauté, qui répond au prénom de Charlotte. La deuxième fois qu’il l’avait rencontrée, la semaine suivante, il s’était arrangé pour la croiser « par hasard ». Tout de suite, elle avait accepté qu’il l’accompagne : la confiance était gagnée, vous comprenez ! N’avait-elle pas, grâce à lui, la semaine passée, retrouvé son chemin à travers cette forêt connue pour être si dangereuse ? A la fin de la ballade, le rendez-vous avait été pris pour la semaine suivante. Nous sommes la semaine suivante. Rodolphe astique son pelage, mastique un chewing-gum, brosse, coiffe, rase et cire, coud, lave et repasse, savonne et parfume : il est prêt. 14h30, à l’ombre du grand Mûrier qui marque l’entrée de la forêt, Rodolphe attend son chaperon. Et la voici qui arrive, le teint frais et les joues rouges, le pas léger et la démarche souple… Elle lui sourit, lève la main ! Il sait qu’il va se régaler. Mais pas si vite, pas si vite : il n’est pas de ces loups qui sautent sur leur proie. Il a des manières, lui : plus la proie est en confiance, plus le dîner est bon. Dans la forêt – dont ils ne suivent plus le sentier indiqué par maman depuis longtemps - le chaperon se laisse guider par Rodolphe à pas aveugles, lui parlant de la pluie et du beau temps, de sa mère qui s’inquiète tellement pour tout et n’importe quoi, de son père qui ne veut pas la laisser sortir et de ses camarades de classes tellement immatures ! Alors qu’elle parle, Rodolphe ne cesse de contempler ses mollets blancs, sa bouche rouge, sa nuque délicate, ses épaules charnues, et l’eau lui en vient à la bouche : bientôt, il sera temps. Dans la clairière, les promeneurs sont loin donc ils sont seuls. Ils s’arrêtent, s’installent confortablement dans l’herbe. Elle enlève ses chaussures et Rodolphe, lentement, avance ses babines de grand loup. Charlotte n’a pas le temps de crier ou même d’avoir peur, que son pauvre chaperon rouge est déchiré et que le loup n’a fait d’elle qu’une bouchée. Moralité ? ça dépend. Les sentiers, c’est pas fait pour les chiens ? Ou… qui s’aventure en chemin obscur n’est plus maître de son destin ? Ou encore… si tout petit chaperon se doit d’être croqué, l’important, c’est de bien choisir son loup. |