C a t h e r i n e   V e r l a g u e t , auteure



Venavi ou Pourquoi ma soeur ne va pas bien

Adapté d’un texte de Rodrigue Norman par Catherine Verlaguet pour une mise en scène d’Olivier Letellier

Théâtre de récit

Un comédien

Texte non-publié

Akouété et Akouélé, un garçon et une fille, sont nés ensemble du ventre de leur mère. 
Dans ce pays d’Afrique, les jumeaux sont sacrés. Ils ne doivent jamais être séparés.
Lorsque l’un décède, les adultes doivent fabriquer vite, vite une statuette pour que le vivant ne soit pas tenté de rejoindre l’autre dans la mort.
A six ans, Akouété meurt d’une fièvre tenace. Et au lieux de fabriquer vite, vite la statuette traditionnelle, les adultes mentent à Akouélé, lui disent que son frère est parti chercher du bois dans la forêt.

Ce jour-là, Akouélé s’assied à l’orée de la forêt et commence à attendre que son frère rentre à la maison pour pouvoir grandir avec lui.

Mise en scène : Théâtre du Phare puis Tréteaux de France

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Fabrique d'écriture

Qu’en est-il de ces mensonges que l’on dit pour protéger nos enfants ?

Comment se construire sur un secret que l’on ne partage pas ?

Extrait

(…)
Après cinq années de CP1, ma sœur n'était pas mauvaise en mathématique. Alors ma mère l'a emmenée avec elle, à la gare routière, pour vendre des oranges.

Pour ma sœur, l'apprentissage a commencé par une fine observation des différentes étapes de ce commerce.

Tout d'abord, se lever très tôt le matin. Partir alors qu'il faisait encore nuit. Quitter le village. Contourner la forêt, la forêt noire comme un trou noir, noire comme une bouche qui avale tout sans ne jamais rien recracher. Entrer en ville, passer par le marché, y repérer d'un seul coup d'œil les oranges les plus juteuses – pas besoin de les goûter ! Elle avait l’œil, ma mère. Acheter. Puis, rejoindre la gare routière. Et vendre toute la journée !

La légende dit que notre mère n’a jamais revendu une seule orange acide aux voyageurs ! « Parole de mère de jumeaux ! » disait-elle. Et ses clients savaient – comme tout le monde sait- ce qui arrive aux parents de jumeaux, s’ils mentent. Du coup, le monde la croyait ! Et son commerce marchait.

A la tombée de la nuit, quitter la gare routière, sortir de la ville, contourner la forêt noire comme un trou noir, noire comme une bouche qui avale tout sans ne jamais rien recracher, et rejoindre le village.

Akouélé s'est vite habituée à vendre des oranges. Ça lui donnait une autre occupation que de m'attendre toute la journée et je crois bien qu'elle aimait ça : quitter le village, contourner la forêt, noire, la ville, le marché, la gare routière et vendre toute la journée.
Si on ne parlait pas de ma sœur, je vous dirais que le temps passait plus vite pour elle à la gare routière. Mais, comme vous le savez, puisque le temps ne passait pas pour elle, il n'était pas question qu'il passe pour elle plus vite ailleurs, qu'ici.

A la gare routière, Akouélé rencontrait plein de gens nouveaux. Elle qui aimait regarder et écouter, elle se régalait les yeux et les oreilles. Des gens, il y en avait de toutes sortes : des grands, des gros, des maigres, des petits, des noirs, quelques blancs, des étrangers, des locaux, des adultes, des enfants...
Il y avait ceux qu’elle appelait « les allers simples ». Ceux-là ne faisaient que passer.
Les « voyageurs », qui partaient exceptionnellement en vacances et lui promettaient de lui racheter une orange en revenant et parfois, ils lui ramenaient même un souvenir de leurs vacances.
Et bien sûr,  il y avait « ses habitués » : ceux qui voyageaient beaucoup et dont elle connaissait les prénoms. Ceux-là ne passaient pas par la gare routière sans lui acheter une orange et lui raconter le dernier épisode de leur vie. Vous le savez : Akouélé aimait écouter. Les histoires de ces gens, c’était pour elle comme une série télévisés.

Ici, personne ne l'appelait "la petite folle".
Personne ne savait pour moi, parti dans la forêt.
Personne ne lui demandait où était passée sa taille.
Et personne, personne ne remarquait ses yeux d'adulte dans son visage de petite fille.

Ici, Akouélé était tranquille.

Et au village elle était appréciée, parce qu’elle ramenait aux enfants les cadeaux des voyageurs, Les villageois s’étaient habitués à sa petite taille et son histoire – notre histoire – ne faisait plus parler.
La petite folle – comme ils l’appelaient - faisait partie du village. Elle qui, dans son corps de six ans, allait bientôt en avoir seize.

Un jour notre mère est tombée malade.

Ce jour-là, Akouélé est allée seule... jusqu'à la gare routière.
Vendre toute la journée.
Et le soir...
La forêt, noire comme un trou noir...
La forêt dans laquelle son frère coupe du bois !?
Pourquoi toujours la contourner ?

D'un petit pas de petite fille au cœur courage, Akouélé entre dans la forêt.

(…)