C a t h e r i n e   V e r l a g u e t , auteure



La perle rouge

Nouvelle enfant



Avant, j’étais une bulle hermétique. Une entité fermée.
Avant, il y avait le monde et moi, au milieu. J’étais le centre, le noyau. Et de ce centre, rien ne pouvait entrer ni sortir, tout gravitait autour. C’était bien agréable.

Un jour, c’était le printemps, j’ai trouvé à mes pieds une perle rouge. En la ramassant, j’en ai trouvé une autre à côté. Une autre qui n’y était pas l’instant d’avant, je l’aurais vu quand même. J’ai ramassé cette deuxième perle et à peine redressée, j’ai vu, toujours à mes pieds, une troisième perle. Merde alors ! Comme dirait papa.  - Moi, je ne dis jamais merde, je n’ai pas le droit. Mais j’ai le droit de dire « merde alors –comme dirait papa », ça s’appelle une citation. Les citations, j’ai le droit.

J’avais donc trois perles dans la main. A mes pieds, d’autres continuaient d’apparaître. D’autres que je ramassais jusqu’à constater que… toutes ses perles tombaient de sous ma jupe.
J’ai appelé maman. J’étais paniquée ! J’étais terrifiée : est-ce que je me transformais en fabrique de perles ? Je ne voulais pas être une fabrique de perles ! J’étais très bien en petite fille ! En noyau, centre du monde !

Maman est arrivée, j’ai expliqué la situation, je lui ai montré les perles et, à ma grande surprise, elle ne s’est pas affolée. Elle m’a sourie, elle m’a embrassée sur le front. « Est  ce que je me transforme en fabriques de perles ? » je lui ai demandée. Maman continuait à sourire. « Non » elle m’a dit. « Seulement en femme ». En femme ? Je ne suis pas une femme, je suis une petite fille ! J’ai dit. « Toutes les femmes sont ouvertes ! Maintenant, tu l’es aussi », elle m’a dit. Ouverte ? J’ai réfléchis. Comme une porte ? Comme une fenêtre ? Alors il faut me refermer, qu’on me rebouche, j’ai dit. Moi, je ne veux pas être ouverte : je vais être pleine de courants d’airs ! Maman a rie. Moi, je n’ai pas rie. Moi, j’avais peur. Je me demandais qui m’avait ouverte. Qui m’avait fait ça ? Ou ce que j’avais fait moi-même pour m’ouvrir comme ça ? Peut-être un peu plus tôt, parce que je m’étais assise sur la borne, au bord de la route !? Ou lorsque j’étais tombée la veille, en courant à l’école !? Je ne savais pas qu’on pouvait s’ouvrir aussi facilement ! Si j’avais su, j’aurais fait plus attention, évidemment ?  Pourquoi est-ce que personne ne m’a rien dit ? Pourquoi on ne m’a pas prévenu ? Comment est-ce que je dois faire maintenant, pour me refermer ? Je posais toutes ces questions et maman se moquait. Plus elle se moquait plus j’avais peur et je me sentais seule. « Il n’y a pas de raison d’avoir peur » m’a dit maman. « Toutes les femmes s’ouvrent un jour, comme les fleurs : c’est dans leur nature, elles s’ouvrent au monde ».

Je ne voulais pas m’ouvrir au monde : si le monde pouvait entrer en moi alors je ne serais plus son noyau, plus le centre du monde ! J’avais envie de pleurer. Je me sentais fragile, toute ouverte comme ça.

Maman a essuyé mes larmes et m’a prise dans ses bras. Elle m’a serrée très fort et pour me calmer elle m’a dit « Ma petite fille, toutes les femmes sont pleines de courants d’airs, mais tu vois : elles produisent des bijoux ».